Conduite sans permis : l'Etat en partie responsable
Le nombre de conducteurs sans permis n’en finit pas de grimper. Et cette situation a un impact sur la sécurité et l’économie. Quelle est donc la responsabilité de l’Etat face à ce fléau ?
Le nombre de conducteurs sans permis est jugé « préoccupant » par le ministère de l'Intérieur : 85 291 infractions constatées en 2006, soit 18 % d'augmentation par rapport à 2005. Et selon cette tendance, avec l'implantation croissante de nouveaux radars, le cap des 100 000 conducteurs sans permis de conduire contrôlés devrait être franchi en 2007.
En dehors du conducteur non titulaire du permis, la définition juridique regroupe aussi le cas des permis non communautaires, celui du conducteur non titulaire de la catégorie exigée et, de plus en plus fréquemment, le cas du conducteur ayant reçu l'injonction de restituer son permis et dont le solde de points est nul. Pourtant, depuis la loi Perben II de mars 2004, ce délit est passible de 15 000 euros d'amende et d'un an d'emprisonnement (pouvant aller jusqu'à deux ans dans le cas d'une récidive).
Conséquence logique de la « tolérance zéro »
Près de deux millions de conducteurs rouleraient actuellement sans permis, c'est le chiffre noir qui circule parmi les associations et les professionnels de l'automobile. La question se pose donc de savoir s'il faut à tout prix augmenter le nombre de radars automatiques au risque d'accroître la part des conducteurs hors la loi. Cette politique de radars à outrance est d'autant plus contestable, que le bilan de la sécurité routière 2007 est médiocre.
« Le phénomène n'est pas nouveau, observe Olivier Joulin, membre du Syndicat de la magistrature, en droit pénal, quand on multiplie trop les sanctions, on fabrique automatiquement de la délinquance. » Ainsi, l'Etat se rend lui-même en partie responsable d'un fléau dont il déplore l'ampleur.
En effet, la suspension administrative du permis de conduire est justifiée quand elle constitue « une mesure de sûreté destinée à écarter du réseau routier un conducteur potentiellement dangereux, jusqu'à l'intervention de la décision judiciaire ». Mais, en 2006, 91 % des excès de vitesse par contrôle automatique étaient inférieurs à 20 km/h, voire beaucoup moins à cause des problèmes de réglage des radars. Par conséquent, mis à part les cas d'alcoolémie et de drogue au volant, de nombreux conducteurs se retrouvent en situation de criminels en puissance et sont jugés comme tels.
Le juge mis à l'index du pouvoir judiciaire
« Depuis l'instauration du permis à points en 1992, la loi a mis le juge hors la loi, explique Maître de Caumont, avocat spécialisé en droit de l'automobile. Le juge a été dépossédé de sa fonction et cela va à l'encontre même des principes de séparations des pouvoirs prônés par Montesquieu. » En effet, la sanction est prononcée automatiquement par le tribunal administratif dès que le quota de points est inférieur ou égal à zéro. Le système est donc inique en ce sens qu'il n'y a ni personnalisation des faits, ni appréciation des peines en fonction des délits commis.
« L'aspect mercantile de ce système ne fait aucun doute, déplore Olivier Joulin. Seul le juge est compétent pour évaluer la totalité des infractions. Lui seul est en mesure d'étudier et d'analyser individuellement chaque situation, afin de déterminer la peine (annulation de tant de mois si nécessaire, ou bien stage de tant de jours, etc.) ». Or, au lieu de cela, l'annulation d'une durée minimale de six mois sanctionne tous les conducteurs, sans distinction. Et cette prise en otage implique l'obligation de repasser le permis, avec l'impératif de passer un double examen, médical et psychotechnique. A quand le dépistage ADN automatique du chauffard ?
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